Au royaume du pélican frisé

Au cours des dix derniers jours, nous avons passablement bougé puisque, partis d’Alicante, nous sommes arrivés en Albanie. Les contraintes liées à la pandémie nous ont obligés à traverser l’Italie en moins de trente-six heures, entre deux ferrys. Entre l’Espagne et l’Albanie, l’écart est impressionnant. Développement, réseau routier, mais aussi mesures sanitaires. Un monde nouveau s’ouvre à nous.

Le vendredi 7 mai, nous quittons notre petit appartement d’Elda. Nous y avons minutieusement préparé la suite du voyage, ce qui n’est pas une mince affaire compte tenu des incessants changements de normes pour passer les frontières. Nous avons un billet de ferry à Barcelone pour le 10 et un autre, à Bari, pour le 12. Comme nous avons trois jours à disposition en Espagne, nous commençons par une jolie balade au mont Chocolate et allons dormir à Onil, tout près d’Elda. Le samedi 8 mai, nous faisons une halte pique-nique à Pou Clar, sorte de gorge avec des belles vasques propices à la baignade et continuons jusqu’à Sellent où nous dormons sur une petite aire de pique-nique. Nous sommes réveillés le dimanche 9 mai par un vieux qui fait un feu de camp. Il semble un peu dégénéré et nous dit attendre ses amis chasseurs qui vont revenir avec leurs prises. Nous préférons allons déjeuner et nous doucher un peu plus loin… Nous faisons ensuite une relativement longue étape vers le nord, avec une halte-paella à Peñiscola et nous arrêtons dans une pinède, en Catalogne, vers Mont-Roig, où il commence à pleuvoir. Le lundi 10 mai, nous arrivons à Barcelone dans la matinée. Clémentine refait le plein de livres à la librairie française, nous faisons un saut, sous la pluie, à la Sagrada Familia, puis allons préparer nos affaires pour la double traversée sur la colline de Montjuic. C’est là que nous recevons l’appel de la société chargée d’envoyer une nouvelle carte de crédit à Ju – la précédente ayant été désactivée. Nous n’y croyions plus, mais il est possible d’aller la chercher au fin fond du parc logistíc, dans la zone franche du port. Bien utile pour la suite du voyage. En fin de journée, le check-in pour le ferry se déroule sans problème et nous embarquons à la tombée de la nuit. Nous quittons l’Espagne après environ huit mois de découvertes et d’aventures…

Le mardi 11 mai, il pleut sur le gigantesque ferry Cruise Roma. La compagnie profite de la faible affluence pour y mener des travaux de rénovation, ce qui lui donne des airs de chantier. Ajoutons à cela la présence majoritaire de camionneurs taciturnes, l’ambiance est un peu tristouille. Le passage des Bouches de Bonifacio, dans le brouillard, anime un peu la journée. Nous débarquons vers 18h30 en Italie. Un peu de confusion entre les files, un officiel nous fait signe de suivre un camion, qui sort du port sans contrôle et nous en faisons de même. Personne ne nous a rien demandé, nous sommes en Italie et avons trente-six heures pour y transiter. Quelques kilomètres pour arriver à Santa Marinella où nous mangeons une délicieuse pizza avant de dormir dans un grand parking au centre de la petite ville. Le mercredi 12 mai, nous profitons de la pasticceria locale avant de nous enfiler sur l’autoroute. Contournement de Rome un peu chaotique, autoroute de Naples, un petit café, nationale pour Benevento, quelques achats. On mange sur une aire d’autoroute assis sur un trottoir – pas de table de pique-nique – et on arrive dans les Pouilles dans l’après-midi. Arrêt à Giovinazzo, adorable petit port sur une mer limpide. Glace et café. On continue sur Bari que l’on atteint largement dans les temps. Au port, pour la première fois du voyage, nous voyons plusieurs voitures immatriculées en Suisse. Ce sont essentiellement des Kosovars qui retournent voir leur famille. Check-in sans souci. Passage douanier un peu pointilleux – on doit presque vider le coffre – mais sans tension liée à l’épidémie, et nous voilà, deux heures avant l’appareillage, sur l’AF Marina, petit ferry qui évoque un peu la marine soviétique des années 1970. On se douche, on se change et on va pique-niquer sur le pont supérieur en regardant les semi-remorques embarquer.

Le jeudi 13 mai, au petit matin, nous arrivons à Durrës. Du bateau, le port semble bien décati et la ville évoque un grand chantier. L’entrée dans le pays se fait rapidement et nous voilà à nous balader dans les rues albanaises. Ici, tout est ouvert et l’épidémie de covid semble appartenir au passé. Presque aucun masque, y compris à l’intérieur des magasins, pas de distance particulière, les policiers font la bise à leurs amis… Le choc n’est pas si facile à encaisser, car nous avons vraiment été conditionnés à observer ces règles d’hygiène qui sont devenues une évidence pour nous. La ville n’est pas très belle, mais, en nous y promenant, nous découvrons des coins intéressants, des gestes architecturaux originaux – il y en aura plein d’autres dans le pays – et une bonne pâtisserie. Dans l’après-midi, nous allons nous poser à la plage de Spille, un peu triste et jonchée de déchets hors saison. Nous trouvons un coin préservé, lisons et jouons à des jeux avant d’y passer une bonne nuit.

Le vendredi 14 mai, nous poursuivons vers le sud et empruntons pour la première fois une route secondaire albanaise – en fait une piste jonchée de nids de poule où seuls une vitesse très réduite et le fruit du hasard épargnent notre carter et nos essieux. Une longue visite du parc national de Divjaka, avec un chaleureux accueil au centre de visiteurs et une balade en quête des pélicans frisés qui peuplent le lac. Nous en verrons de loin depuis une tour d’observation, mais, à notre retour au centre, un spécimen est en train de se baigner avec Johnny, le pélican blessé qui habite avec les gardiens… Au monastère d’Ardenica, nous admirons les belles fresques de l’église et discutons avec des Kosovars qui nous disent l’admiration qu’ils ont pour la Suisse. Nous hésitons à dormir là, mais l’environnement est vraiment plein de déchets. Nous poursuivons jusqu’au site archéologique d’Apolonia, où lorsque nous demandons si nous pouvons dormir sur le parking, le gardien nous propose d’entrer avec le minibus dans l’enceinte du site, qui est en train de fermer. nous visitons les ruines presque seuls et Aleksander, un des gardes, nous fait une visite personnalisée de la basilique et de l’exposition de statues. Il finira par nous offrir café, thé et raki, ainsi que des salades et des oignons de son jardin !

Le samedi 15 mai, nous nous réveillons entre deux averses et parvenons à ranger le minibus et plier la tente avant que le déluge ne s’abatte sur nous. Vu la météo, difficile d’imaginer une activité en plein air pour la matinée. Nous nous dirigeons sur Vlorë, où il y a quelques musées. Une fois sur place, petit déjeuner improvisé et visite de la ville. Comme Durrës, c’est plutôt déstructuré, pas très beau au premier abord, mais nous trouvons des points de vue, des lieux ou des bâtiments qui sont vraiment intéressants. Pour le repas de midi, on veut prendre des byreks et des pizzas à l’emporter, mais voir la serveuse tousser dans ses mains avant de les prendre nous convainc de laisser le sachet sur un banc public… Paranoïa ou heureux réflexe sanitaire en plein milieu de l’épidémie ? Ce n’est sans doute pas la dernière fois que nous hésiterons ! Le ciel bleu revient et nous finissons la journée vers la jolie île-monastère de Zvërnec et une superbe prairie, au bord de falaise sur la baie de Vlorë, où nous passons la nuit.

Le dimanche 16 mai, pendant notre petit déjeuner, un troupeau de vaches vient paître, suivi bientôt du berger qui nous salue gentiment. Il fait beau, et même chaud. Nous partons vers Berat, où nous avons réservé un appartement. En route, nous nous arrêtons à Roskovec où nous arpentons le marché local. Pas grand chose d’intéressant, mais une tranche de vie albanaise. Les hommes squattent les terrasses derrière leurs grosses lunettes de soleil, les femmes font les achats, L’égalité existe, mais chacun reste à sa place… A Berat, nous sommes accueillis chaleureusement par la famille du propriétaire de l’appartement que nous avons réservé. L’accueil est nettement plus personnel qu’en Espagne, même si nous ne parlons pas de langue commune, mais l’appartement, tout en étant propre et confortable, est aux normes albanaises: tout se déglingue un peu. La petite ville ottomane est très jolie et nous profitons de la fin de la journée pour aller en faire une première découverte, puisque nous allons y rester six jours…